Il est encore le dernier à partir du garage, non pas parce qu’il est particulièrement zélé – encore qu’il a toujours été du genre à faire les choses sérieusement dès lors qu’il s’y est décidé – mais c’est surtout parce que l’idée de rentrer chez lui n’est guère séduisante. Personne ne l’y attend ; encore que ça ne soit pas ça le plus terrible, il chercherait presque cette solitude, comme si c’était la clé, l’antidote contre le remord, la culpabilité. Il vérifie que tout est en ordre et, comme souvent, il baisse le rideau en taule ondulée en sortant, veille à ce qu’aucune effraction ne soit possible, c’est une habitude qu’il a prise en arrivant ici, parce qu’on l’a avertit qu’il y avait pas mal de vols et de cambriolages. Haussement d’épaules. Que pourrait-on bien voler dans un garage ? Mais il a appris par le passé à ne s’étonner de rien alors, machinalement, il répète ces gestes, tous les jours. De retour chez lui, une bonne douche s’impose, avec toute la poussière avalée, les tâches de cambouis qu’il n’a pas réussi à enlever avec le vieux T-Shirt qui lui sert de serviette là bas, et puis la chaleur de ce deuxième mois d’été. Cette chaleur sèche lui rappelle sa ville natale, Vegas, et immédiatement, la farandole noire de ses souvenirs l’envahit à nouveau. L’eau brûlante ruisselle sur lui, coule sur l’encre de ses tatouages ; il ferme les yeux un bref instant. Il n’y a que le calme autour de lui, aucun bruit si ce n’est l’eau de cette minuscule cabine de douche. A peine sec, il décroche son téléphone et commande le dîner, le traiteur Chinois – décidément ils sont partout eux – est dans la liste des numéros les plus souvent appelés, alors que la cuisine est plutôt pas mal équipée, c’est révélateur du niveau de décadence dans lequel il se laisse aller. Une bière. C’est exactement ce qu’il lui faut pour accompagner ces nouilles sautées aux champignons. Presque la même commande d’un jour sur l’autre, si bien que la voix de l’autre côté du fil demande sans même réfléchir. Il acquièsce.
La télé ne débite que des idioties, une chaîne de sport, mais il n’est pas d’humeur à voir un match de foot, ce n’est pas un ‘grand’ match, il laisse le son plus pour l’animation que par réelle envie de suivre la rencontre. Il est même incapable de dire qui joue contre qui, il s’en fout.
A la nuit tombée, il finit par se décider à aller errer ailleurs, le bar du coin, miteux mais qui sert un Jack relativement décent. L’alcool. Il se souvient des ravages sur son père, cette promesse qu’il s’était faite de ne pas laisser ce liquide ambré dicter sa vie. Il n’en est pas encore là, mais presque.
Une masse se laisse tomber sur la banquette dont le rembourrage est crevé depuis longtemps, fendu au couteau vraisemblablement. Voilà qui le sort de ses pensées l’espace d’un instant. Ce visage, cette silhouette, il se souvient. Le voisin un peu mystérieux, pas loquace, chez qui la police a déjà été toquer plusieurs fois, sonnant chez lui au passage pour quelques questions de routine. il agite une bouteille. « Ramène ta fraise, on va étancher nos peines. » Le regard un peu embrumé, il ne distingue pas vraiment l’étiquette, mais peu importe, tant que ça se boit. « Tu bois à quoi ? » Demande-t-il sur le ton de la conversation, la bouche un peu pâteuse, pour ne pas laisser un silence s’installer.