L’air absent, la tête entre les mains, il paie les conséquences de la nuit qui vient de se terminer. Après avoir décampé de chez la jeune femme, trop naïve et trop saoule pour voir ce qu’il était vraiment, errant quelques temps, il arrive au Bradbury’s, le bar point de chute, lorsque comme ce matin il a la gueule de bois, et lorsqu’il n’a pas envie de voir les murs défraîchis de la boîte à chaussures qui lui sert de logement. Ici, la plage, le bruit des vagues, est d’ordinaire plutôt apaisant, mais ce matin, pour son malheur, quelques familles ont décidé de venir profiter du beau temps. Les cris des enfants, les rires, tout pour accentuer cette sensation d’avoir un marteau piqueur dans la tête. Comme chaque fois, il se promet que la prochaine fois, il ira mollo, mais ces bonnes résolutions sont éphémères, comme la vague sur le sable.
Convaincre le mal par le mal ; il aurait bien été tenté de reprendre un scotch, mais la patronne, qui a l’habitude de le voir débarquer, avait décrété qu’il n’en serait pas ainsi. Le cachet d’aspirine finissait de se dissoudre dans son verre d’eau au moment où une jeune femme fait son apparition dans le bar, s’approchant du comptoir en tirant un tabouret, bruit qui n’est pas sans lui rappeler ses frasques de la veille. Il lance un regard mauvais à la responsable de ce raffut, et assène d’une voix un peu traînante « Hé, on se calme ma jolie, si tu veux de passer tes nerfs sur quelque chose, merci de le faire ailleurs… » Délicat, comme à son habitude. Il n’a jamais su entretenir des rapports normaux avec les autres et ce n’est pas avec elle que les choses vont changer, une minette de plus dans la marée, aussi insignifiante que les autres malgré son joli minois. Engoncé dans ses certitudes frisant le machisme et la goujaterie, il retourne à cet état de léthargie duquel l’a tiré l’arrivée de la brunette, puis avale son aspirine d’une traite, espérant que ça atténuera le mal de crâne, sans grande conviction.