Ses lèvres pulpeuses, ce regard de braise qu’elle pose sur lui avec une candeur toute calculée ; soudainement, plus rien d’autre dans cette salle de casino ne compte ni n’a d’importance. La cravate de son costume lui paraît tout à coup bien serrée et la salive lui manque. Prédatrice, elle s’approche de lui, sublimée dans cette robe fourreau d’un rouge sang diaboliquement ajustée. Elle se poste là, en plein dans son champ de vision et croque la fraise qui ornait son verre, feignant de ne pas le voir. Elle ne montre rien du tout, mais elle s’amuse follement. Dame de cœur, dame de pique. Sensuelle, féline, le danger fait femme. On ne dirait pas qu’elle n’a que vingt ans. Elle l’attire dans ses filets, le guette ; la faute n’est pas loin, il est comme les autres, il ne saura pas résister et elle compte bien là dessus pour le pousser à la faute. Elle s’éloigne, offrant à sa vue le somptueux dos nu qui révèle la cambrure de la colonne vertébrale et laisse deviner la chute de reins, vénéneuse.
Les premiers rayons de soleil percent à travers les rideaux de cette chambre spacieuse et viennent chatouiller ses paupières encore à demi closes. il est encore nu, et n’a pas remarqué qu’elle n’est plus là, du moins plus dans ce lit qui a recueilli leurs ébats fiévreux. Le contact froid d’un canon de beretta sur sa tempe le réveille. Une voix, pas amicale pour un centime, lance moqueuse. « Allez, debout la Belle au bois dormant… » Il se redresse en sursaut mais son élan est bien vite entravé. Etre menoté à un lit, en tenue d’Adam, aurait pu être amusant dans un contexte différent, là un peu moins. « Y’a une chose que mon patron déteste plus que les mauvais payeurs… » Reprend l’autre type en costume sombre. « C’est quand on touche à sa fille. » Un sourire sadique se dessine sur ses lèvres.

Il s’essuie les mains, noircies de cambouis avant de refermer le capot de cette belle Lexus. Trois semaines. Vint et un jours qu’il a pris tout laissé derrière lui, quitté le sol arride de son Nevada natal, ne donnant ni explications ni addresse, pas même un mot, à quoi bon, à qui de toute façon ? Il avait joué, et il avait perdu. On ne gagne jamais face à la Cosa Nostra, le réseau tentaculaire de Luigi Marconi, cette toile d’araignée. Pourquoi avait-il fallu qu’il fasse le fier, l’intrépide, pourquoi n’avait-il pu écouter ses conseils, peut-être serait-elle encore de ce monde, son visage ne se dessinerait pas sans répit devant ses yeux dès qu’il s’autorise un moment de repos. L’horloge de l’atelier indique 14h43. Elle sera bientôt là pour récupérer son véhicule. Le soleil est déjà haut dans le ciel de Jeffreys Bay, constant, régulier, mais bien moins terrible que celui de cette Sanaa hostile où il est resté stationné avec ses compagnons du onzième MEU. Bizarrement, il en viendrait presque à regretter ce temps là, malgré toutes les horreurs, malgré toutes ces blessures invisibles dont deux de ses camarades n’ont jamais pu être gueris, ou pas suffisamment tôt.

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