J’ôte mes lacets aussi vite et je leur file aussitôt. Pas le moment de me faire remarquer. Honnêtement, tout le monde peut crever ici, sauf Sandro. Je sais, je suis égoïste, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir peur pour cette andouille. Parce qu’il ne sait pas et n’a probablement jamais su prendre soin de lui, alors la corvée, c’est pour ceux qui peuvent et veulent. Je m’enquiers immédiatement de son « état ». Sait-on jamais hein qu’il soit en train de crever et que je ne l’ai pas remarqué. « Hey idiot. Comment tu te sens ? » Je regarde les autres autour de moi, et je n’arrive pas à être désolée pour eux ou autre, pourquoi suis-je si fermée aux gens ? En apparence, j’apprécie les gens, mass en réalité parfois je m’éloigne de l’être humain sans même comprendre ce besoin de solitude. Comme si j’étouffais. Même si c’était justifié, c’est une des raisons de notre rupture, je ne respirais plus avec Alessandro et avant de rendre mon dernier souffle j’avais dû m’éloigner. Mais quand je réfléchis, j’ai fini par éloigner peut être la seule personne qui me donne envie de sourire, parfois. J’aperçois une jolie brune qui n’en mène pas large. Je m’approche d’elle tout en entrainant l’autre débile, qu’il ne m’échappe pas pour dire encore des conneries tiens. « T’as pas l’air bien ? T’inquiète si on fait rien de stupide – regard appuyé vers Sandro et son frère - on s’en sortira tranquille ! C’est quoi ton nom ? » Voilà j’ai fait ma Ba du jour. Je sus trop fière, on devrait fêter à ça, si on s’en sort. Je n’ai même pas remarqué que pendant tout ce temps je tiens la main de Sandro, et qu’il peut crever, je lâcherais pas. Pas cette fois. Qu’il profite… « Dis-moi Raf, t’es pas censé être le..plus.. Enfin bref, pourquoi avoir dit ça ? pourquoi risquer ta vie alors que ces abrutis ne comptaient pas vraiment changer leurs plans.. c’était juste une mise en scène.. Sandro je comprends, il est débile, mais toi… » Je pensais à ce que Chrys devait penser de sa famille, elle devait fulminer et prévoir un brasier pour y cramer ses deux frères.

Alessandro ne prend pas franchement la mesure de ce qui entrain de se passer. Si son regard cherche Chrys parmi la foule alors qu'ils sont séparés les uns des autres et qu'il n'y a presque que son prénom à résonner dans sa tête embrouillée, il n'arrive pas à enchainer de pensées sensées. Il s'accroche à la vision de son frère, figure de proue indispensable dans le brouillard qui s'épaissit devant son regard. Il n'est pas en état de faire quoique ce soit, et son inutilité le rend malade, comme toujours. Lui qui a l'habitude de se sentir misérable, voilà une autre chose à ajouter au tas des raisons pour lesquelles il a une si pauvre estime de lui-même. Quel désastre pour l'hôtel ! pourrait-il penser, mais à vrai dire, ça le ferait presque rire s'il ne lisait pas autant la détresse sur les visages des autres. Il sent qu'il perd pied, que le cocktail ingéré déploie ses effets avec un zèle dont il se serait bien passé. Il exécute les ordres, balance ses chaussures, attrape une bouteille derrière le bar puis se laisse glisser le long du comptoir, les coudes sur les genoux, les dents serrées pour se retenir de lancer une idiotie. Il avale une gorgée avant de se rendre compte qu'il ne s'agit là que d'eau gazeuse. Il grogne et lance un regard énervé à Taliah lorsqu'elle s'enquit de son état. Il lui en veut d'être descendue, cette imbécile aurait du rester en sécurité. Il observe les criminels, puis son aîné, puis ses doigts de pieds, se concentrant pour les compter, espérant bêtement que ça maintiendra son esprit à flot encore quelques minutes. - Sandro je comprends, il est débile, mais toi… Parce que ça n'était pas stupide de sortir de ta planque peut-être... crache-t-il, suffisamment bas pour que ses mots ne parviennent pas aux preneurs d'otages. Il n'empêche qu'en un sens, il est d'accord avec son ex-petite-amie et espère qu'une solution va subitement surgir des pensées de Rafaele, si ce n'est pas lui, qui d'autre ?

La soirée aurait difficilement pu tourner plus mal, et décidément, c’était le comble de la poisse. Un braquage le soir de la St Sylvestre, autant dire qu’avec ça, et comme en plus les nouvelles circulent vite, la clientèle de l’hôtel allait diminuer comme peau de chagrin dans les semaines à venir…
Tout était à peu près tranquille, au vu de la situation, avant que deux jeunes garçons, des employés, se fassent passer pour Sandro & lui-même. Mauvaise idée, et sur le coup, il a gelé, incapable de réagir, se morigénant pour ça rétrospectivement. Etrangement, malgré tout l’alcool qu’il a dans le sang, c’est Alessandro qui se manifeste en premier, ne sachant pas très bien ce que ça va impliquer. Il ne le dit pas pour le moment mais il est fier de son petit frère, il sait que c’était la chose à faire, et ne tarde pas à l’imiter, cherchant le regard du cadet, comme pour lui faire parvenir ce message qui ne serait pas passé avec des mots.
Par groupes, diviser pour mieux régner est malgré tout un grand classique, les ravisseurs les emmènent dans divers endroits de l’hôtel. Il cherche Chrys des yeux, tentant de voir s’il peut se rapprocher d’elle, mais c’est peine perdue et il n’aime pas ça. Il dénoue le nœud papillon de son costume et déboutonne sa veste, par réflexe, parce que la suite des événements ne sera pas exactement relaxante, et depuis toujours, lorsqu’il a les nerfs à vifs, il préfère favoriser le confort à l’élégance.
Le bar de l’hôtel est vide, mis à part Taliah, une demoiselle aux cheveux couleur noisettes et dont il ne pense pas connaître le nom, Sandro et lui. Il se souvient d’avoir cherché et trouvé des cachettes dans ces recoins de ce bar, parce que lorsqu’il n’était pas dehors, dans les écuries, l’hôtel était son terrain de jeu. Ces années là semblent bien loin. « Dis moi Raf, t’es sensé être le plus… bref. Pourquoi avoir dit ça ? Pourquoi risquer ta vie alors que ces abrutis ne comptaient pas vraiment changer leurs plans… Sandro je comprends, il est débile… mais toi ? » Taliah l’apostrophe, tout en prenant garde de ne pas se faire repérer par les deux types qui ne semblent pas vraiment d’humeur à bavarder. « Tu m’as l’air bien renseignée sur leurs intentions… » Rétorque-t-il tout en retirant les lacets de ses chaussures, conformément aux instructions. « Et tu suggérais quoi, que j’attende tranquillement qu’ils déciment toute la clientèle ? Glorieuse idée. » Ajoute-t-il plus sèchement qu’il l’aurait voulu. « Sandro a fait ce qu’il fallait. » Pour une fois aurait-il sans doute rajouté si les circonstances avaient été différentes.

C’est bien sa veine. Il a fallu que la soirée, qui avait pourtant bien débuté avec les petits fours et le champagne, tourne au vinaigre ; prise d’otages. Ces types encagoulés qui semblent avoir un but mais une organisation assez chaotique. Des coups de feu, la panique qui commence à s’installer parmi les convives ; chacun a peur d’être le suivant à se faire trouer la peau, et c’est compréhensible, qui ne souhaite pas être tranquille un soir de fête ? Il n’y a que les imbéciles dans son genre pour chercher les ennuis, à croire que ça l’amuse, ou bien que d’une façon ou d’une autre, il les attire comme un aimant. Depuis des années maintenant, depuis qu’il a quitté cet orphelinat où la vie était, somme toute, facile, il a enchaîné les frasques, les malchances malgré quelques petits coups de pouce. Alors il a tout simplement abandonné, l’idée de mener une vie rangée, même simple et modeste lui semble étrange, presque hors de portée. Certains sont doués pour le bonheur, d’autres sont doués pour les emmerdes. En plus avec son caractère, ça n’arrange rien. Fierté de merde, goût prononcé pour la provocation, le tout rehaussé d’une insolence arrogante. Les psy, on lui a conseillé d’en consulter, mais jamais il n’a tenu plus d’une séance. La rue, les boulots pas nets pour joindre les deux bouts, la prison, ces épisodes tout droits sortis d’une mauvaise série télé.
Leurs lacets ? Si ça n’avait pas été une vraie prise d’otages, il aurait éclaté de rire. D’ailleurs, il s’est retenu de le faire, par on ne sait quel réflexe, parce qu’il toujours plutôt été du genre à lâcher une remarque au mauvais moment, rire quand il ne faut pas. Il retire ses chaussures, mollement, et retire sa cravate, ignorant l’échange un peu houleux qui se tient à côté de lui. Il préfère porter son attention sur la bouteille qui est posée sur le comptoir du bar, du Gin, parfait ça. « J’ai pas de lacets… » Puis c’est au tour de la cravate. « Mais si ça peut vous servir j’ai ça. » Il la tend à l’un des ravisseurs. Est-ce de l’inconscience ou de la bêtise ? Ou bien est-il déjà trop bourré, ou trop défoncé pour faire preuve de jugeote.